De Lugnasad à Garland Sunday : les traditions païennes irlandaises de l'été
Comme Samain avec Halloween, Imbolc avec Saint Brigid’s day et Beltaine avec May Day, la fête celte de Lugnasad a perduré en Irlande jusqu’à nos jours, tout en conservant quelques bribes des rituels anciens.
Nommé communément « Garland Sunday » (le dimanche des guirlandes) ou Lammas day, Lugnasad a cependant beaucoup (beaucoup!) de noms. Généralement célébré le dernier dimanche de juillet ou le premier dimanche d’août, Garland sunday est une fête communautaire de plein air, célébrée dans les hauteurs, avec beaucoup de jeunes gens, des jeux, des chants et nombre d’activités.
Lugnasad dans l’Irlande post-celte et moderne correspond à la période des récoltes, ce moment où l’Irlande traditionnelle respirait enfin et connaissait l’abondance après une longue période à vivre (ou survivre) sur les réserves de l’année d’avant.
Retour sur cette fête pleine de gaité.
Garland Sunday, une fête communautaire au plus près de la nature
Des noms et des dates
La Lúnasa, Garland sunday, Lammas day, Garlic sunday et les autres
Si chaque fête d’ouverture de saison en Irlande possède plusieurs noms, Lugnasad, elle, en compte plus d’une centaine, en irlandais comme en anglais.
La Lùnasa, proche du terme d’origine et qui veut dire tout simplement « août », est l’un des termes utilisés. En Irlandais, on retrouve aussi » Dommac Crom Dubh » du nom du païen souvent vaincu ou converti par saint Patrick dans les légendes que l’on a évoquées dans l’article précédent.
Il existe pléthore de noms anglais comme par exemple le « Garlic Sunday » (le « dimanche de l’ail », ce qui fait sens puisque c’est la période de récolte de l’ail), le « jour des fruits », le « dimanche de la source », « Harvest Sunday » (le « dimanche des moissons »), « Blaeberry Sunday » (le « dimanche des myrtilles »), « Height Sunday » (le « dimanche en montagne ») ou des noms combinant le mot dimanche et le nom du site où ont lieu les réjouissances.
Le terme le plus courant « Garland Sunday » (le « Dimanche des Guirlandes »), viendrait de la coutume de cueillir des fleurs pour en faire des guirlandes, coutume dont on a, à vrai dire, peu de traces.
Le terme de Lammas day, très utilisé dans le néopaganisme, est finalement géographiquement très concentré puisqu’il est né en Angleterre avant d’être employé en Irlande du Nord.
Une fête mobile: le calendrier du Lammas day
Si on considère généralement que le Garland Sunday a lieu le dernier dimanche de juillet ou le premier dimanche d’août, en réalité c’est beaucoup plus compliqué que cela. Les dates varient en fonction des lieux d’Irlande : la date de Lugnasad semble ne jamais avoir été fixée.
Et quoi de plus normal? Vous le savez si vous avez lu l’article précédent sur la fête Celte de Lugnasad qui a donné naissance à Garland Sunday: le dieu Lug a organisé des jeux funéraires en l’honneur de sa nourrice Tailtiu sur une période allant de 14 nuits avant le 1er août à 14 nuits après. Ce n’est donc pas étonnant qu’on retrouve à l’époque moderne de nombreuses dates différentes pour une fête où toutes les célébrations de ces deux fois 15 jours sont concentrées sur une seule journée.
Toutefois, dans certaines contrées d’Irlande, les différentes activités du Lammas day sont réalisées sur plusieurs dimanches.
Enfin, la religion chrétienne, même si elle s’est moins inquiétée de Lughnasadh que des autres fêtes païennes, n’en a pas moins essayé de caler Garland Sunday sur des fêtes de saints chrétiens. Il n’est donc pas rare de voir la fête de Lammas day célébrée de jour de l’Assomption (15 août) ou pour la saint Jacques (25 juillet).
Le temps et la chance à Garland Sunday
Dis-moi quel temps il fait à Garland Sunday et je te parlerai des récoltes
Comme pour les autres fêtes, Garland Sunday est l’occasion d’observer le temps et de prédire celui qu’il fera.
On dit généralement que le temps se détraque à partir de Lammas Day et que le 1er août est souvent pluvieux avec parfois de l’orage et de la tempête, à tel point qu’on parle du « Flood sunday ».
Le temps du Garland Sunday détermine d’ailleurs le temps des semaines suivantes et parfois de l’hiver: s’il fait doux, s’ensuivront trois semaines de beau temps et un hiver moins rude.
En fait, garland Sunday est la saint Médard irlandaise. Vous connaissez le dicton français de la Saint Médard (8 juin)? « S’il pleut à la Saint Médard, il pleut quarante jours plus tard » (« à moins que saint Barnabé ne lui coupe l’herbe sous le pied »). En Irlande, s’il pleut à Garland Sunday, il pleut aussi pendant les quarante jours suivants. D’autant que le saint irlandais Swithins est un équivalent de saint Médard et qu’il est fêté le 15 juillet, une des dates du Garland sunday!
Lammas day, un jour de chance?
Comme souvent lors des célébrations d’ouverture de saison, la chance est au rendez-vous, si on connaît les bons gestes.
Afin de garantir la chance (et leur subsistance) pour le reste de l’année, les paysans irlandais aspergeait le bétail, la maison et les récoltes d’eau bénite.
Comme nous le verrons plus loin, Lugnasad est une fête de partage. Il est donc de très mauvais augure de refuser de partager son colcannon – le plat traditionnel à cette occasion – avec ses voisins moins bien lotis.
Enfin, les airelles ramassées et ramenées à la maison lors du Garland Sunday sont censées porter chance.
La fête de Lugnasad dans l'Irlande traditionnelle: foires, assemblées et partage
On considère souvent Lugnasad comme une fête agraire, une sorte de grande fête des moissons. Erreur!
La fausse fête des moissons: Garland Sunday ou la fête des Récoltes
Une fête des moissons est généralement une fête qui célèbre la fin des moissons de céréales, dont le blé. Or, rappelons-nous que nous sommes en Irlande. Et en Irlande, fin juillet, le grain n’est pas assez mûr pour être moissonné. Il est vrai que la date des moissons avance de plus en plus grâce aux technologies, mais dans l’Irlande traditionnelle, les moissons étaient très tardives et avaient lieu après le 15 août voire en septembre dans le nord du pays. Traditionnellement, les irlandais terminent le travail des moissons avant Halloween, c’est dire si c’est tardif!
Dans le cas de notre Garland Sunday il serait plus juste de parler de fête des récoltes, à commencer par la pomme de terre, la fameuse! Implantée sur l’île au XVIIe siècle, elle est devenue la première – et parfois la seule – source de nourriture dans l’Irlande traditionnelle. Cultivées selon des méthodes inchangées jusqu’en 1940, les pommes de terre irlandaises sont plantées en février et leur récolte débute justement au moment du Lammas day.
Cela peut sembler anecdotique mais rappelez-vous ce que l’on a vu dans les autres articles: toutes les récoltes et les moissons étaient rentrées pour Halloween, date à partir de laquelle les Irlandais.es devaient vivre sur ces réserves qui, selon les années, étaient plus ou moins abondantes. La récolte de pommes de terre était intimement liée à la survie de la population rurale car elle permettait de tenir jusqu’à la fin des moissons, surtout quand les réserves faites à Halloween étaient épuisées.
En Irlande, les céréales comme le blé, l’orge et l’avoine étaient cultivées en quantité limitée et étaient plus vues comme un moyen de payer les fermages qu’un moyen de subsistance. Toutefois, dans certaines contrées d’Irlande, Lugnasad marque aussi le début des moissons.
En ce sens, Lughnasadh est surtout liée au foin: il existe pléthore de croyances et de superstitions liées à la date du début de moisson du foin. En Irlande, on considère juillet comme le mois du foin et août comme le mois des moissons.
Mais le Garland Sunday marque aussi et surtout une récolte d’un autre genre, celle des baies sauvages: airelles, myrtilles, baies des tourbières… C’est aussi le moment de ramasser les fruits cultivés: fraises, groseilles, cassis.
Pêle-mêle, le Garland Sunday correspond au moment où l’on extrait la tourbe, c’est la date du début de la saison de la pêche dans de nombreux endroits et elle correspond également au sevrage des agneaux, ce qui permet aux brebis de remonter dans les pâtures.
Un jour de partage : le Colcannon day
Lughnasadh, dans l’Irlande traditionnelle, est ce que l’on pourrait appeler une VRAIE fête: joyeuse et communautaire. Et il y a de quoi se réjouir puisqu’avec le début des récoltes et ensuite les moissons, la faim est écartée pour une dizaine de mois!
Pour l’occasion, il n’est pas rare de blanchir les murs de la maison à la chaux et de repeindre barrières, portes et fenêtres.
On décore la maison de guirlande de fleurs et l’on reçoit les voisins, qui amènent généralement un cadeau, pour un dîner à base de… pommes de terre bien sûr!
Les premières récoltes qui se font à l’occasion du Garland Sunday sont un prétexte à une célébration particulière dans la maison. Si cette célébration est moins importante qu’à Halloween ou St Brigid’s day, elle est en tout cas partagée avec la communauté.
Au menu ce jour-là, des plats à base de pommes de terre donc, dont le fameux colcannon (par ici pour la recette). Ce nom doit vous être familier si vous avez lu mon article sur Halloween: c’est en effet un plat typique de la fête du 1er novembre également. Ce plat est tellement emblématique que notre Garland Sunday compte, parmi sa centaine de noms, celui de « Colcannon day« !
Le Colcannon a la particularité d’intégrer éventuellement du chou, mais il existe une autre recette encore plus simple, à base de pommes de terre of course, écrasées avec de la crème et du beurre: le poundry (qui possède, lui aussi, plusieurs noms). À cela s’ajoute le boxty bread (encore une recette) une sorte de pain aux… pommes de terre évidemment! Les familles les plus aisées ajoutaient une volaille au menu et parfois des gâteaux.
Vous avez sans doute noté que j’ai dit auparavant que la pomme de terre, si importante en Irlande, n’y a été importée qu’au XVIIe siècle. Que mangeait-on avant, alors, le jour du Garland Sunday? Eh bien on cuisinait probablement les autres aliments typiques du pays: les navets et le chou.
Ce premier repas à base de pommes de terre était tout sauf anecdotique. On l’a dit, le Lammas day est un moment de joie où l’on oublie enfin la peur de manquer. C’est pourquoi la notion de partage est extrêmement importante ce jour-là. On dîne avec les parents, les amis, mais on invite aussi les voisins qui n’ont pas eu la chance d’avoir une bonne récolte ou bien on leur donne des pommes de terre si les leurs ne sont pas encore prêtes à être récoltées: ce soir-là, tout le monde doit avoir un bon repas.
Après le dîner, on va aux champs pour voir les récoltes et le bétail. Mais la fête continue: on allume un feu, tout aussi rituel que le repas et qui sert autant à faire la fête en dansant autour toute la nuit qu’à protéger la ferme. La protection par le feu passe par sa fumée, que l’on pousse sur les champs pour écarter la brunissure des pommes de terre ou l’on prend une motte de tourbe dans le feu pour ensuite la jeter dans les champs.
Halloween n’est décidément pas loin: lors du Garland Sunday on retrouve des farces typiques du 1er novembre comme le vol de matériel agraire ou le vol des barrières!
Passer du temps ensemble: les assemblées en montagne de Garland Sunday
Si le dîner de pommes de terre est un incontournable du Garland Sunday, ce sont surtout les célébrations de plein air qui rendent cette fête si particulière. Car si Halloween, Saint- Brigid’s day et May Day sont des fêtes familiales et sont célébrées non loin de la maison (voire dedans), Lughnasadh se fête à l’extérieur. De même, si les trois autres fêtes se passent la veille (Halloween et Imbolc) ou tôt le matin (Beltaine), seul Lugnasad se fête véritablement en journée.
L’important, c’est d’être à l’extérieur car c’est là que les gens se retrouvent, dans des assemblées de plein air.
Il existe un certain nombre d’assemblées près de lacs et des rivières, dans des lieux champêtres où l’ont fait prendre un bain au bétail et où sont organisées des courses de chevaux dans l’eau. La baignade a, dans la tradition irlandaise et celte en général, des effets bénéfiques sur la santé et prévient les maux divers.
On retrouve le même principe pour les assemblées qui se tiennent près des sources saintes. On a d’ailleurs vu que ces sources jouent un grand rôle pour toutes les fêtes d’ouverture de saison, et particulièrement à May Day. Certaines sources ont été christianisées, une église a alors été construite tout près, mais de nombreuses autres sources ne le sont pas: il s’agit parfois d’un simple trou d’eau en pleine nature, dans un champ ou au creux d’un rocher.
Ces sources, saintes ou non, ont la réputation de guérir les maux des hommes et des bêtes et de les protéger pour le reste de l’année.
La plupart des assemblées avaient toutefois lieu sur les hauteurs, dans les montagnes ou les collines. Bien que peu de sites soient christianisés, ils étaient tous lieux de pèlerinages à la suite desquels se tenait l’assemblée festive appelée « pattern » ou « patron« .
L’assemblée au sommet du mont Brandon (dans le comté de Kerry) sur le site de Cnoc Bréanainn en est un bon exemple. Ce site comprend un oratoire, des tumuli (des tombes) et un puits donnant sur une source. La tradition veut qu’on fasse neuf fois le tour des tumuli au point du jour pour voir ses maux disparaître. Évidemment, il faut boire l’eau de la source aussi!
Ces assemblées sont votives: il y a toujours une chapelle, un cairn (tumulus), des mégalithes, des pierres sacrées ou une source sacrée sur le site. Ces assemblées étaient toutefois aussi un moment de plaisir : on dansait, on faisait des jeux comme les combats de faction, du sport (athlétisme, football, voltige à cheval) et on se courtisait (eh oui, ça fait partie de la tradition!). Très populaires, ces assemblées intergénérationnelles attiraient même les vendeurs ambulants!
Ces rassemblements communautaires sont une célébration de la jeunesse, de l’automne et des fruits récoltés (d’ailleurs parfois récoltés en chemin pour atteindre le site dans les montagnes).
Ils ont malheureusement commencé à disparaître après 1950. J’ignore s’il en existe encore.
Les foires de Lughnasadh
Garland Sunday est sans conteste une fête celtique: elle en a gardé la tripartition: religieuse, festive et économique. Le repas à base des premières pommes de terre et l’assemblée dans les montagnes sont l’émanation religieuse et festive du Lugnasad celte. Les foires en sont le pan économique.
La plupart des foires étaient liées à une assemblée. Elles avaient lieu une semaine après environ, dans une bourgade voisine ou aux pieds de la colline où se tenait l’assemblée.
Ces foires, très nombreuses, étaient issues de différentes traditions: foires du Moyen Âge, en lien avec la colonisation anglaise ou encore issues des oenach (assemblées) gaéliques, celles qui nous intéressent le plus ici. Les chercheur.ses pensent que ces foires ont été assimilées par les Normands après leur invasion de l’Irlande car elle bénéficiaient de privilèges importants sur lesquels il était important de garder le contrôle.
Ces foires étaient des moments-clés de la vie rurale dans l’Irlande traditionnelle: toute la richesse du pays y affluait avec la vente de bétail et des produits de la ferme.
Les légendes du Garland Sunday: des dieux celtes aux saints chrétiens
La mort de Tailtiu et l'hommage du dieu Lug: les origines celtes de Lugnasad
J’ai évoqué assez longuement les légendes celtes de Lugnasad dans l’article précédent, je ne vais donc pas trop m’étendre ici.
On a vu que la fête de Lugnasad avait été créée par le dieu celte Lug en l’honneur de sa défunte nourrice Tailtiu, morte en défrichant une immense forêt pour offrir des plaines cultivables à son peuple. Enterrée à l’endroit même de son exploit, Tailtiu fut célébrée comme il se doit par des jeux funéraires qui débutaient comme on l’a dit précédemment, 14 nuits avant le 1er août et qui finissaient 14 nuits après. Ce mois de célébration sous la houlette du roi était marqué par des foires, des concours de chants, de la poésie et des accords économiques et matrimoniaux.
Il existe d’autres légendes celtes reliées à Lughnasadh, la plupart en lien avec la mort d’une femme, à l’image de Tailtiu.
Et ce n’est pas un hasard si les sites où est célébré Garland Sunday sont souvent liés à la mort et l’ensevelissement d’une femme mythique.
Dragons, sorcières, païens et chriétiens: les légendes du Garland Sunday
Les exploits de saint Patrick: les légendes christianisées
Si vous avez lu l’article précédent sur la fête celte de Lugnasad, vous connaissez déjà un peu ces légendes. On a vu que, même si elles paraissent pour certaines fortement christianisées, elles gardent toutes un fond païen plus ou moins évident.
Les légendes christianisées mettent surtout en avant les exploits de saint Patrick, qui convertit à tour de bras un païen qui a d’ailleurs souvent le même nom, conversion qui se fait curieusement parfois avec l’aide du géant Oisin (absolument pas sorti de de la Bible pour le coup mais bien de la mythologie irlandaise).
Saint Patrick réalise divers miracles comme tuer un dragon, une sorcière et autres monstres dévoreurs de morts (!).
Laissez-moi vous parler de deux de ces légendes, loin d’être les plus importantes, mais que j’apprécie.
La première raconte comment saint Patrick s’est battu contre une lumière qui tue ou bien encore contre un magicien qui faisait brûler une bougie dont le pouvoir était de faire éternuer les gens à mort (j’adore!).
La seconde légende explique la façon dont les nombreux noms du Garland Sunday peuvent naître: il s’agit du test de la hutte de feu. Pour prouver à l’autre qu’ils ont raison, saint Patrick et le païen têtu entrent chacun dans une hutte à laquelle on met le feu. Or, la hutte du saint est de bois sec et celle du païen en bois humide. Saint Patrick ressort évidemment indemne mais ses vêtements sont calcinés alors que le païen meurt brûlé vif dans des vêtements qui demeurent intacts. Plus tard, un pied d’ail poussera sur le lieu du test.
Sachant que l’un des nombreux noms du Lugnasad « moderne » est « Garlic Sunday » (le dimanche de l’ail, en lien avec sa récolte qui tombe à cette période), on finit par se demander si la légende chrétienne n’est pas là juste pour donner un décorum religieux à un fait tout à fait naturel.
Toujours est-il que la christianisation relativement partielle de Lugnasad donne parfois lieu à des légendes très ouvertement liées à l’ancienne religion irlandaise, comme la légende de la conversion de la jeune fille par saint Patrick.
Cette jeune fille n’était pas une jeune fille ordinaire, elle venait de l’Autre-Monde, le monde souterrain, issu des croyances celtes. Ayant perdu l’invisibilité des gens du monde souterrain, elle est recueillie dans un ermitage où elle se convertit. Elle ne souhaite pas retourner avec ses compagnons mais, triste de les quitter, elle dépérit et meurt.
Ces légendes sont surtout toujours liées aux lieux, au site où se déroulent les messes et des rituels parfois peu chrétiens le jour du Garland sunday, autour des tumuli, à l’image du Cullen Well (le puit de Cullen) dans le comté de Cork, dont l’eau ne jaillit qu’à Lugnasad. Ou encore Loug Gur dans le Limerick avec son cercle de pierres où l’on célèbre Domnac Crom Dubh (« le dimanche de la courbe noire ») en lien avec Com Dubh, le païen qui se retrouve converti par saint Patrick dans de multiples légendes.
Fairies, géants et sorcières: la survivances des légendes païennes
À côté de ces légendes christianisées, il en existe bien d’autres qui ont gardé tout leur caractère païen. Outre les trous-avaleurs où disparaissent mystérieusement les gens, les légendes de royaumes ou de trésors engloutis sous les collines, de nombreuses histoires parlent, sans surprise, des fairies.
On raconte, par exemple, que si la récolte de pommes de terre d’un comté est mauvaise et que celle du comté d’à côté est meilleure, c’est parce que les fairies des deux comtés se sont affrontées dans une partie endiablée de hurling et que l’équipe perdante a donné une partie de la récolte à l’équipe gagnante.
Mais on trouve aussi et surtout des histoires de femmes, toutes liées, comme dans les légendes christianisées, à un site souvent localisé sur les hauteurs. Que ce soit un enlèvement par les fairies dans les collines, l’histoire d’une vieille femme maléfique ou d’une triade de sœurs et/ou de sorcières, chaque site a sa légende.
On peut reprendre l’exemple de Cullen Well, où vivaient trois sœurs dont Latiaran, qui ramenait tous les jours des braises dans son tablier sans se brûler, jusqu’au jour le forgeron lui fit remarquer qu’elle avait de jolis pieds. La vanité tourna la tête de la jeune fille dont le tablier se mit alors à brûler (c’est la raison pour laquelle il n’y a jamais eu de forgeron dans ce village par la suite).
On peut parler également de l’assemblée de Cnoc-Ghulain (Gowlin Hill) dans le Kerry où la légende parle d’un tonnelet d’or caché sous un buisson d’épines dont l’emplacement est malheureusement perdu.
Ou encore de Bothan na Cailligh (« Le cabinet de la sorcière ») où l’on raconte voir le fantôme d’une femme, la nuit. Ou bien encore la légende des deux sœurs sorcières qui vivaient ensemble dans la grotte de Cro na Callighe (« La bergerie de la sorcière ») et se querellèrent tant que l’une tua l’autre en la jetant du haut de la falaise.
Les site liés à ce genre de légende sont très nombreux et sont un lien discret mais réel à la légende première, la raison d’être de Lugnasad : la mort d’une femme, Tailtiu.
De Lughnasadh à Lammas day : une fête pastorale difficilement christianisée
Si vous avez lu l’article précédent sur la fête celte de Lughnasadh, vous savez que, comme les trois autres fêtes celtes, il y a des fortes probabilités pour qu’on soit de nouveau en présence d’une célébration bien plus ancienne, d’origine pastorale, qui fête la moitié du temps de pâture et qui permettait sans doute aux familles de se retrouver sur le lieu-même de ces pâtures: dans les montagnes.
Comme pour les trois autres fêtes celtes, l’Église a bien essayé de christianiser Lugnasad. Toutefois, l’entreprise s’est avérée difficile, ne serait-ce que parce que les autorités chrétiennes ont sans doute mis moins d’ardeur à remplacer Lugnasad qu’à remplacer Samhain par exemple. Pourquoi? Parce que Lugnasad a une dimension religieuse très limitée. Contrairement à Samhain, la plus grande fête celte, dirigée par les druides et donc hautement religieuse, Lugnasad se déroulait sous l’égide du roi, les druides n’y pratiquaient aucun sacrifice, donnant à cette fête un caractère religieux moindre aux yeux de l’Église chrétienne des siècles plus tard.
Toutefois, tout comme ce qui a été fait avec la Toussaint pour Halloween, les autorités chrétiennes ont fait quelques tentatives pour christianiser Lugnasad en intervertissant des dates ou en plaçant habilement des fêtes de saints à des dates-clés.
C’est ainsi que la fête dédiée à la Vierge, l’Assomption, tombe le 15 août, jour lors duquel se déroulent de nombreuses assemblées aux sources en Irlande.
Rappelons que selon saint Jérôme, l’un des Pères de l’Église, l’Assomption de la Vierge (c’est-à-dire sa mort et sa montée au ciel) a eu lieu en… septembre! C’est le même principe de remplacement qui a été mis en œuvre avec Brigitte, l’accoucheuse de la Vierge pour Imbolc et Saint- Brigid’s day. D’ailleurs, souvenez-vous que Beltaine ou May Day, la fête du 1er mai, ouvrent le mois consacré à la Vierge, de nouveau, qui se retrouve être une figure décidément bien pratique dans le remplacement des anciennes croyances.
C’est aussi l’un des indices qui tend à montrer l’existence d’une déesse pré-celte, bien plus facile à dissimuler sous le visage d’une femme sainte plutôt que d’un saint, d’où l’utilisation quasi systématique de la figure tutélaire de la Vierge.
C’est d’autant plus parlant ici que la fête des funérailles de la déesse celte de Tailtiu est remplacée par la célébration des funérailles de la Vierge.
Notons tout de même que la christianisation de Lugnasad se traduit par la célébrations de saints dont la date anniversaire se situe parfois très loin dans le calendrier et n’a rien à voir avec la période du Lammas day!
Des celtes aux chrétiens
Si vous avez lu l’article précédent sur la célébration celte de Lugnasad, vous devez sans doute déjà avoir une idée de la façon dont la fête celte s’est transformée en Garland Sunday.
Je l’ai évoqué plusieurs fois, et cela est vrai pour toutes les fêtes d’origine celte en Irlande, c’est le monde de la paysannerie qui s’est retrouvé dépositaire de ces anciennes connaissances, après la disparition des derniers druides puis, plus tard, l’émigration de la classe dirigeante irlandaise, avec, à chaque fois, une perte un peu plus importante du sens des rituels qui étaient transmis de génération en génération.
Je l’avais évoqué dans l’article précédent également, pendant longtemps ont subsisté les « mariages de Teltown » (Teltown étant le lieu origine où Tailtiu aurait été inhumée). Ces unions provisoires duraient une année à l’issue de laquelle les deux contractants pouvaient se séparer ou officialiser. Cette tradition, à mettre en lien avec celle de la courtise pendant le Garland Sunday, est une réminiscence des mariages arrangés lors des fêtes de Lugnasad.
Les combats de factions, les chants, les jeux et les compétitions sportives qui ont lieu pendant le Lammas day sont directement issus des luttes rituelles, concours de chants, de poésies et des jeux funéraires de Lugnasad.
On l’a vu, la christianisation de Lugnasad n’a pas été sans peine et n’a pas vraiment fonctionné. La fête celte est toujours visible en filigrane derrière le calendrier chrétien. Les fêtes chrétiennes importantes de la période se concentre en effet entre le 15 juillet et le 15 août, ce qui est conforme au rituel ancien: rappelez-vous, les jeux funéraires avaient lieu 14 nuits avant et 14 nuits après le 1er août.
Les histoires de certains des saints chrétiens fêtés pendant la période emprunte d’ailleurs de nombreux éléments aux histoires que l’on raconte sur les différents sites des assemblées. Prenons le cas de saint Jacques, fêté le 25 juillet: pour la faire courte, dans son histoire, on retrouve un leader païen cruel, une montagne à gravir, un combat contre un dragon et un mégalithe funéraire: tous les éléments qui déterminent les lieux d’assemblées du Garland Sunday dont on a vu qu’ils étaient préceltiques pour la plupart!
Autre point d’intérêt au niveau des saints de la période entre le 15 juillet et le 15 août: leur mort! Oui, c’est pas très drôle mais croyez-moi, c’est intéressant.
Saint Jacques, comme nombre de ces saints de la période de Lugnasad, est mort décapité. Or, la tête coupée, chez les Celtes, est hautement symbolique: elle représente la valeur de l’être et sa force guerrière. Ce n’est pas pour rien que les guerriers celtes prélevaient la tête de leurs ennemis vaincus. De plus, la tête était considérée, à l’époque celtique et auparavant comme le siège de l’âme.
On retrouve évidemment la trace de ces croyances dans les légendes celtes. Par exemple, une légende galloise raconte comment la tête de Bran le géant (un géant, comme des les légendes des sites du Garland Sunday!) continue de festoyer et boire même une fois détachée du reste de son corps.
Mieux encore: la légende de la création de Lugnasad indique que sur le site où était inhumée Tailtiu se trouvaient trois merveilles, l’une d’entre elles étant… un homme sans tête!
C’est donc sans surprise qu’on constate que beaucoup de saints chrétiens dont les fêtes ont été placées à dessein sur la période de Lughnasadh sont des saints céphalophores, c’est-à-dire des saints décapités qui portent leur tête (mot compte triple au scrabble!).
Et c’est sans surprise non plus que les chercheur.euses ont remarqué que ces saints étaient presque toujours associés à une fontaine, une pierre et un arbre, les trois éléments constitutifs de l’espace sacré chez les Celtes et leurs ancêtres.
D’ailleurs, la tradition irlandaise n’a pas seulement gardé trace de la culture celte à travers sa fête de l’été, mais également trace des pratiques précédentes à caractère pastoral, ne serait-ce que par la présence des mégalithes sur tous les sites des assemblées.
C’est aussi palpable dans une autre thématique de la fête de Lugnasad/Lammas :celle des liens. Dans les légendes chrétiennes des sites d’assemblées, les liens jouent toujours un rôle important (ceinture, chaîne etc.). D’ailleurs le « Nasad » de Lugnasad ne veut pas seulement dire « assemblée », il signifie aussi « lien ». En cela, le Garland Sunday de l’Irlande traditionnelle a gardé le sens de la Lugnasad celte puisque c’est la seule fête de l’année qui réunit les différentes communautés rurales dans des assemblées qui ne sont rien d’autres que l’exaltation des liens! Quand aux mariages dont on a parlé tout à l’heure, il s’agit également d’une autre forme de lien.
Enfin, un petit mot sur le thème de l’eau. L’eau est un symbole lunaire qui nous ramène à la tradition pastorale préceltique et qui a aussi la part belle à Garland Sunday, d’une autre manière qu’à May Day: c’est l’eau qui ne monte dans le puits qu’à Lugnasad par exemple. On en voit la trace également dans les dictons sur le temps où l’on parle des déluges de Lammas. Et rappelez-vous ce que je vous disais en début d’article: saint Swithins, qui est fêté le 15 juillet, est le saint Médard irlandais.
D’ailleurs, savez-vous que l’on attribue une fauchaison merveilleuse à saint Médard ? Eh oui, tout comme Tailtiu ou encore Oisin le géant qui aide saint Patrick a fauché un champ dans plusieurs légendes de sites d’assemblées de Garland Sunday. Et la boucle est bouclée!
Garland Sunday en France? Le souvenir de la Lugnasad Gauloise
Des assemblées comme en Irlande
On l’a vu dans l’article précédent, Lugnasad était très vraisemblablement célébré aussi en France par les Gaulois. Mais cette fête a t-elle survécu?
Eh bien… oui! Il existe notamment des traces d’assemblées au XIXe siècle, en Haute-Savoie et, avec tout ce qu’on a dit sur l’origine pastorale des fêtes celtes, vous ne serez pas surpris.es de découvrir que cette fête savoyarde est une fête de bergers. Ces célébrations commençaient par la montée dans la montagne le dimanche, avec ensuite un dîner communautaire à base de lait, toujours dans les hauteurs. Il est question de danse, de flirt, de jeux, de combats de factions et surtout de pèlerinages pour protéger les personnes et les bêtes contre la maladie et les mauvais sorts, bref, tout le contexte d’un Garland Sunday.
Des messes avaient lieu au sommet, comme en Irlande, et sur les sites on trouve presque toujours une pierre ancienne, un tumulus.
Cerise sur le gâteau, les dates de ces fêtes en France correspondent jour pour jour à celles de l’Irlande.
Coïncidence? Je ne crois pas!
D’autant que tous les sites français recensés sont en lien avec des personnages féminins : maléfiques, bénéfiques, ambigües, saintes, sœurs, sorcières, reine des fairies ou femmes enlevées… Tout comme en Irlande.
Les sites portent tous le souvenirs d’une femme morte dont on trouve d’ailleurs souvent la tombe sur les lieux d’assemblée.
Gargantua et le dimanche à la pierre
Il est une figure des légendes du Lammas day dont on a assez peu parlé: le géant. Le géant Oisin ou Ossian intervient très régulièrement pour aider saint Patrick dans des légendes qui mêlent ouvertement le saint chrétien à des références païennes. Oisin est lui-même le fils du géant Finn, un personnage important dans les légendes celtes irlandaises.
La France a également ses légendes de géants qui, elles aussi, ont été récupérées par les autorités chrétiennes. Ainsi en est-il de saint Claude, aux proportions gigantesques qui fait… devinez quoi? Une fauchaison merveilleuse! Sans oublier saint Christophe, fêté le 21 juillet, géant orgueilleux qui cherche un seigneur à sa stature avant de se convertir au christianisme. Saint Christophe est également, en quelque sorte, un saint défricheur lui aussi puisqu’il déracine les arbres pour se faire une maison. Mais surtout, c’est un saint céphalophore, encore!
Et si l’Irlande a Finn et Oisin, la tradition française a, elle aussi, son géant: Gargantua. Mais Gargantua est-il vraiment français?
Les racines de ce personnages sont très complexes et bien plus anciennes que l’œuvre de Rabelais. Il est en effet connu par des textes très anciens comme les chroniques galloises et par le cycle breton, puisque c’est Merlin (celui du roi Arthur) qui aurait créé les parents du géant. Merlin qui, rappelons-le était un magicien héritier des druides.
Les racines de Gargantua remontent jusqu’aux divinités gauloises, il serait trop long ici d’en faire la démonstration (je renvoie au livre qui a servi à l’écriture de cet article dont vous trouverez la référence en bas de page), toujours est-il que l’étude linguistique et topographique ramène le personnage de Gargantua à Belenos, le dieu gaulois dont on a parlé dans l’article sur May Day.
Plus fou encore, la linguistique, toujours, laisse penser que les géants d’Irlande et Gargantua sont finalement un seul et même géant. Pour la petite histoire, on trouve le mot et le nom de famille « Gargan » en Irlande. Si on doutait encore du fait que la tradition irlandaise et la tradition gauloise était la même, il n’y a plus guère de doute à ce stade.
Pour terminer avec la linguistique, il a été démontré que le préfixe « gar » était en lien avec le mot « pierre ». On sait à quel point les mégalithes sont importants lors de Lugnasad et particulièrement anciens, réceptacles de la sacralité chez les peuples celtes et préceltiques.
Le nom de Gargantua n’est donc probablement pas une coïncidence et présente le géant comme étant le mégalithe lui-même (rappelons que son père était présenté comme « le faiseur de montagne »).
Et sans doute aurez-vous remarqué que beaucoup des noms de la Lugnasad de l’Irlande traditionnelle ont un point commun: « Garland sunday « garlic sunday », « garden sunday ». Eh oui, on a bien une mention à la pierre avec « gar-« . Et si Garland sunday était finalement « Le dimanche à la pierre », cette pierre, présente sur tous les sites d’assemblées et seul vestige physique de ce qu’était Lugnasad avant les Celtes ?
Merci d’avoir lu ce long – très long – article! Il montre, sans doute plus encore que les autres, que l’héritage païen – celte et préceltique – se cache partout, dans les gestes des fêtes agraires comme dans les noms de lieux et que les très anciennes traditions ont réussi à se frayer un chemin à travers toutes les récupérations de l’Histoire (romaine, chrétienne).
Malheureusement, les témoignages des personnes qui qui ont vécu ces assemblées ou les ont entendues raconter – témoignages que j’ai utilisés ici – datent des années 70, à une époque où ces traditions étaient déjà en train de disparaître.
J’ignore si des assemblées telles que celles décrites ici existent encore en Irlande ou même en France.
Toujours est-il que Lughnasadh faisant partie des quatre sabbats majeurs de la roue de l’année, il est important de le marquer lorsque l’on a une spiritualité héritée du paganisme ou si on souhaite tout simplement respecter la division immémoriale du temps.
Et comment célébrer Lugnasad de nos jours? Réponse dans l’article suivant!
Hisae
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Sources
- Véronique Guibert de la Vaissière, Les quatre fêtes d’ouverture de l’Irlande ancienne, Editions Armeline, 2013.
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