Photo de couverture: Amy Whelan
La fête païenne de Mabon: l'équinoxe d'automne et la fête des moissons
Entre le 22 et le 23 septembre, pour la seconde fois de l’année, le jour et la nuit sont d’égale durée: c’est l’équinoxe d’automne, qui fait suite à la fête de Lugnasad et marque le basculement vers les courtes journées d’hiver et annonce la saison sombre qui débutera à Samhain.
Fête wiccane des récoltes, Mabon marque ce temps suspendu, où l’on se réjouit de ce que l’on a amassé tout en se préparant à la saison sombre.
Retour sur ce moment de gratitude et d’humilité de la roue de l’année.
Un nom celte pour une fête d'inpiration grecque
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Mabon n’est pas une fête celte. Au contraire, elle est tout ce qu’il a de plus moderne puisque qu’elle est wiccane. Pour rappel, la Wicca est un mouvement religieux païen né au milieu du XXe siècle (bien que l’un de ses fondateurs, Gerald Gardner, assure qu’il s’appuie sur d’anciennes traditions).
L’une des figures les plus influentes du mouvement Wicca dans la seconde moitié du XXe siècle, l’écrivain Aidan A. Kelly, s’est intéressé à l’équinoxe d’automne et a cherché un nom saxon pour ce moment particulier de l’année. Manque de chance, il n’a trouvé aucune fête saxonne de l’équinoxe d »automne qui réponde aux thèmes wiccans. Il est donc allé chercher du côté de la mythologie celte et a baptisé lui-même cette fête païenne du nom du dieu Mabon, personnage que l’on retrouve dans la version primitive des aventures d’Arthur (oui, oui, le fameux roi Arthur!).
La folle histoire du dieu Mabon
Mabon, dont le nom signifie en toute humilité « Le grand fils » ou « Le fils bienveillant », était l’enfant de Modron « La Maternelle » et de Mellt. Il aurait eu un jumeau du nom de Gwynn mab Nudd (accrochez-vous, c’est du gallois). Mais ce grand fils manque de chance car il est kidnappé dès la troisième nuit après sa naissance (ou à trois ans selon les versions) et est séquestré dans un endroit qui n’est connu que de Llyn Llin qui est un… saumon! Mais pas n’importe quel saumon. C’est un saumon qui aurait mangé les glands de l’Arbre du savoir, ce qui explique sans doute pourquoi il est le seul être vivant à connaître l’endroit où a été emmené Mabon. Bref, grâce au saumon, Arthur et Kai (l’un de ses chevaliers) ainsi que le héros Culhwch (ou Kulhwch) vont délivrer Mabon (qui était finalement à Gloucester, tout ça pour ça). Culhwch a en effet besoin de Mabon pour réaliser une autre quête.
Mabon peut ainsi par la suite reprendre ses activités et on peut dire qu’elles sont importantes car il est ni plus ni moins qu’une sorte de jeune dieu du soleil dont on trouve même un équivalent dans la mythologie gauloise (le dieu Maponos).
Mais pourquoi avoir choisi un dieu du soleil pour représenter l’équinoxe d’automne?
Le mythe de l'enfant volé: Perséphone et les mystères d'Eleusis
Revenons à Aidan A. Kelly.
Son but était de trouver un mythe qui soit en adéquation avec le thème de l’équinoxe d’automne tel que la Wicca l’envisageait. Et il en a bien trouvé un… sauf qu’il est grec! Vous le connaissez sans doute, il s’agit de l’histoire de Perséphone, fille de Déméter, la déesse de l’agriculture et des récoltes. Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire.
La pauvre Perséphone a été enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, qui voulait l’épouser. Sa mère Déméter, déesse de la fertilité, s’est lancée à sa recherche, délaissant les récoltes et tout ce dont elle avait la charge. Voyant que la famine menaçait, Zeus tenta d’intercéder auprès d’Hadès pour que Perséphone puisse revenir. Mais Zeus ne voulait froisser personne. Il proposa donc un « compromis »: Perséphone irait la moitié de l’année avec sa mère, l’autre moitié avec son mari. Lorsque Perséphone est avec Demeter, cette dernière faire fleurir la nature et les hommes peuvent bénéficier de ses fruits. Lorsque Perséphone est dans les Enfers avec Hadès, la nature, comme Déméter, est triste: elle se meurt, jusqu’au retour de l’enfant chérie. Ainsi naquit le cycle des saisons selon les Grecs.
Quel rapport entre Perséphone et Mabon me direz-vous?
Aidan A. Kelly considérait que les Mystères d’Eleusis se rapprochaient de la célébration de l’équinoxe tel que la Wicca l’interprétait. Selon la légende, ces mystères ont été dictés par Déméter elle-même aux habitants d’Eleusis alors qu’elle recherchait sa fille. Ils se déroulaient en septembre, à une date proche de celle de l’équinoxe, et était notamment en lien avec les récoltes, à travers, par exemple, la consécration des gerbes de blé. La référence était donc parfaite.
Or, les quatre principaux festivals du feu de la roue de l’année sont des fêtes celtiques (Samhain, Imbolc, Beltaine et Lugnasad). Aidan A. Kelly, qui n’arrivait définitivement pas à trouver un nom saxon, a donc cherché un nom à consonance celte dont l’histoire puisse s’apparenter à la problématique des Mystères d’Eleusis. Et tout comme Perséphone a été volée à Déméter, Mabon a lui-aussi été enlevé à Modron sa mère puis sauvé. La thématique est la même, celle de l’enfant exilé qui revient.
Qui plus est, Mabon est également cité dans le Livre de Taliesin, un recueil de poèmes du XIVe siècle qui compile des textes parfois beaucoup plus anciens. Dans ce livre, Mabon prend un aspect psychopompe (qui conduit les âmes des défunts). Il a donc accès aux deux mondes, il se situe entre ombre et lumière, entre naissance et mort et convient d’autant mieux à la symbolique de l’équinoxe d’automne.
Du Harvest home à la Saint-Michel: le folklore de la fête des moissons
Il n’y a aucune preuve archéologique qui prouve que l’équinoxe d’automne ait été célébrée par les Celtes. Aidan A. Kelly – encore lui – pensait pourtant que c’était le cas. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine: l’équinoxe d’automne est une fête agraire connue depuis fort longtemps. Il s’agit tout simplement de la fête de la moissons, celle de la seconde moisson plus précisément, la première étant au moment de Lugnasad et la troisième à Samhain.
Chaque année, les moissons sont des moments-clé de la vie agricole. Il n’y a pas si longtemps de cela, la vie quotidienne de la population tournait exclusivement autour de l’agriculture et des récoltes. Les moissons étaient – et sont encore dans une certaine mesure – une période difficile et exigeante, qui demande beaucoup de travail. Normal que les populations veuillent en fêter la fin, car cela signifie que le plus gros travail de l’année est terminé et que l’on peut bénéficier des fruits de la nature.
Harvest home: la fête des moissons anglaise
On trouve encore de nos jours des festivals de fin de moissons un peu partout dans le monde. L’un des plus connus est le Harvest home anglais, aussi appelé Ingathering, festival célébré de même en Écosse, en Irlande et dans l’Europe du Nord. Le dernier jour des moissons (fin septembre le plus souvent), les participant.es décorent les villages de rameaux, crient et chantent. Tout un rituel est mis en place autour de la très symbolique dernière gerbe de blé. Elle sert à confectionner une harvest doll (qu’on traduit souvent par « poupée de grains« ) que l’on trempe dans l’eau pour appeler la pluie. Cette poupée, appelée Cailleac, représente l’esprit du champ où a été moissonnée la dernière gerbe : on la garde souvent jusqu’à l’année suivante: elle peut servir aux rituels d’Imbolc (en février), lors des premières semailles.
Dans tous les cas on voit assez clairement la survivance d’anciens rituels liés à la fertilité. D’ailleurs ces traditions se retrouvent lors des différentes moissons, notamment celles de Lugnasad, avec ce que l’on appelle la « dîme à l’autre monde » qui consiste à ensevelir des offrandes comme les plus beaux épis de blés par exemple. Les festivités du Harvest Home incluent parfois le meurtre symbolique de l’esprit du blé, considéré selon les endroits comme malveillant ou bienveillant, ainsi que des rituels pour chasser le démon, à mi-chemin entre paganisme et christianisme.
De la fête des moissons à la Saint-Michel
Tiens, justement, parlons-en du christianisme!
Si vous avez déjà lu certains de mes articles sur les fêtes païennes comme Ostara, Litha ou Beltaine, vous savez que la religion chrétienne a toujours tout mis en œuvre pour remplacer les croyances celtes, le folklore local ou toutes formes de paganisme, que ce soit par assimilation ou tentative de suppression pure et simple. Mabon ne fait pas exception.
Enfin… ici, en l’occurrence, c’est plutôt le folklore autour de la fête des moissons qui était visé puisque très répandu. Et c’est la Saint-Michel, qui, pour la première fois en 1011, a fait office de remplaçante. Célébrée le 29 septembre, elle était l’occasion pour les propriétaires de récolter le loyer, dont le paiement pouvait être acquitté en bétail. Ces baux ruraux, ou fermages, que payaient les paysans à un propriétaire agricole pour pouvoir exploiter ses champs, arrivaient à expiration le 29 septembre. C’est de là que vient l’expression « A la Saint-Michel, tout le monde déménage ».
La Saint-Michel a donc un lien très étroit avec la problématique des moissons, permettant d’autant plus son installation à la place des rituels païens.
D’un point de vue purement religieux, l’archange Michael (puisque Michel et lui ne sont qu’une même personne) est caractérisé par un aspect lumineux, créant un parallèle intéressant avec la problématique ombre/lumière et le lumineux dieu Mabon lui-même.
La symbolique de l'équinoxe d'automne : comment fêter Mabon!
Symbolique de l'équinoxe d'automne: entre abondance et privation
L’une des notions principales de Mabon est l’équilibre. En cet équinoxe d’automne, le jour et la nuit sont d’égale durée, les températures ne sont ni trop chaudes ni trop froides: nous sommes dans un entre-deux saisonnier.
Oui mais… Cet entre-deux est différent de celui d’Ostara, l’équinoxe de printemps, lors duquel on bascule vers les jours plus longs, plus chauds et vers l’abondance. À Mabon, c’est l’inverse: on bascule vers la saison sombre, dont l’entrée sera célébrée à Samhain, le 31 octobre. On fête l’abondance reçue, car le plus dur est à venir. La fin des moissons est une période de gratitude, le moment idéal pour remercier la Nature de ses bienfaits avant d’accueillir l’obscurité et la saison froide.
C’est toute la contradiction de cet « entre-deux »: les festins de fin de récolte permettent de célébrer la vie avant les privations de l’hiver. Car, dans le confort douillet de nos appartements modernes, nous oublions souvent que la récolte définissait la façon dont on allait passer l’hiver. Après le paiement des fermages, il ne restait parfois rien. Les récoltes étaient l’indicateur de la quantité de ressources restantes jusqu’au printemps.
Voilà la grande leçon de l’équinoxe: lorsqu’on arrive à Mabon, on récolte le fruit de son travail et mieux vaut qu’il ait été fructueux car il est trop tard pour se retourner. On sait ce qu’il nous reste pour passer l’hiver, et si ce n’est pas assez, il ne reste plus que nos yeux pour pleurer!
C’est pour cela qu’on considère Mabon comme le moment ideal pour faire du tri. On n’a plus le temps de se retourner sur des projets qui ne fonctionnent pas: il faut savoir accepter un échec, c’est le moment de passer à autre chose et d’abandonner tout ce qui est stérile.
Car la clé de cette fête païenne c’est l’équilibre: savoir de quoi on a besoin, et supprimer ce qu’il est nécessaire de supprimer, savoir ce qui est nécessaire à notre équilibre.
C’est pourquoi Mabon est aussi le moment idéal pour faire une pause, afin de pouvoir se poser ces questions essentielles. Dans le timing de notre monde moderne, la fin septembre, juste après les vacances d’été et la rentrée, n’est certes pas le moment idéal pour faire déjà une pause. Et pourtant… le cycle de la Nature nous y invite.
Les pratiques du nouveau paganisme pour fêter l'équinoxe d'automne
Comme je l’ai précisé au début de cet article, Mabon est une fête récente, néopaïenne, bien qu’issue de rituels probablement beaucoup plus anciens liés aux moissons.
Les différents courants du néopaganisme fêtent donc tous Mabon, chacun à leur manière.
Les néo-druides célèbrent Alban Elfeld, la « lumière de l’eau ». Pourquoi l’eau? Je n’ai malheureusement pas réussi à trouver d’explication. Toutefois, la célébration en elle-même reste cohérente puisqu’elle se concentre sur les remerciements à la Mère pour son abondance.
Dans les courants néopaïens celtiques, on profite de Mabon pour cueillir des pommes.
Mais, surtout, on continue de voir un peu partout des festivals de la moisson. Le Harvest home est toujours célébré dans les pays anglo-saxons et plus largement dans les pays de langue anglaise (coucou les USA). On y fait de la musique, on y chante et on y récite des légendes, dans des villages décorés de paniers et de cornes d’abondance remplis de produits de l’agriculture locale, parfois bénis par les prêtres avant d’être redistribués aux plus pauvres.
De nombreuses célébrations néopaïennes reprennent également le mythe du dieu mourant à l’automne, qui ressuscite à chaque saison.
Comment fêter Mabon? Petits rituels à faire chez soi
Comment fêter l’équinoxe d’automne?
Comme pour les autres fêtes, sortir, aller dans la nature et l’observer est le rituel le plus facile à faire pour ressentir au mieux cette phase de transition. On peut cependant honorer la nature tout en restant chez soi en plantant des bulbes qui ne fleuriront qu’au printemps, ou, comme dans les mouvements néopaïens, on peut cueillir des pommes, goûter le vin et la bière, et, plus important, partager la nourriture et festoyer puisque c’est la fête de l’abondance! Chantez, dansez autour d’un des derniers feux de joie de l’année!
Pour honorer le côté sombre de l’équinoxe, on peut tout simplement faire un grand ménage chez soi (le pendant du ménage de printemps en quelque sorte) et se préparer pour l’hiver en faisant des conserves, en faisant sécher des plantes ou en congelant des aliments, comme on le fait parfois à Lughnasadh.
Pour une célébration plus appuyée, vous pouvez créer un autel. C’est encore mieux s’il est placé en direction de l’ouest, là où le soleil se couche, pour être totalement dans la symbolique de fin de cycle. Sur votre autel, vous pouvez placer des feuilles mortes, des produits de la nature, des fruits, des légumes, voire même faire un petit panier d’abondance avec, pourquoi pas, une poupée de grains.
Outre les remerciements à la Nature, c’est le moment d’honorer la lune des moissons, la pleine lune la plus proche de l’équinoxe d’automne.
Enfin, le rituel le plus important que Mabon nous invite à faire est intérieur. On l’a vu, la symbolique de l’équinoxe est en lien avec l’arrivée prochaine de l’hiver. Il est important d’accueillir l’obscurité, et d’affronter la nôtre. C’est une période de bilan, le moment idéal pour identifier ce qui est toxique dans notre vie et s’en éloigner, pour se débarrasser du superflu, prendre du recul, voir ce qui nous nourrit, ce qui ne nous nourrit plus et se concentrer sur nos réussites, c’est-à-dire notre propre récolte.
Un dessin pour vous accompagner à Mabon
Voilà, vous avez toutes les clés pour comprendre cette fête néo-païenne! Et si vous voulez prolonger le plaisir ou décorer votre autel avec une image, le dessin Mabon est disponible dans la boutique, en version carrée 20×20 cm ou en version marque-page. Vous y retrouverez les thèmes abordés dans cet article: l’arrivée de l’automne, la symbolique de fin de cycle avec le soleil couchant, la récolte, l’abondance, les remerciements à la nature. Le dessin et sa version marque-page sont disponibles dans des packs qui offrent 20% de réduction avec l’achat de deux autres produits. Profitez-en!
Bel équinoxe d’automne à vous!
Ysae
Sources
- Diana Rajchel, Mabon: rituels, recettes et histoires de l’équinoxe d’automne, Editions Danaé, 2017.
- Jean-Paul Persigout, Dictionnaire de la mythologie celtique, Imago, 2009.
- Jack Parker, Witch please, J’ai lu, 2020.
- Arin Murphy-Hiscock, La sorcière verte, Contre-Dires, 2021.
- Jane Meredith, Les rites célébrations de la roue de l’année, Editions Danaé, 2019.
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